2014, aurait coûté 300 millions d’euros.

Le président turc a sacrifié une forêt d’Ankara pour son «palais blanc».

C’est un palais au superlatif s’étendant sur 200 000 m2 en périphérie d’Ankara, aux dépens d’une forêt jadis plantée par Mustapha Kemal Atatürk, fondateur d’une république laïque inspirée du modèle jacobin sur les décombres de l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale. Le style veut rappeler les grands empires turcs du passé, celui des Ottomans et celui des Seljoukides qui l’avaient précédé, mais rappelle étrangement le palais de Ceaucescu, à Bucarest. La décoration s’inspire des volutes de pierre des mosquées et bâtiments de l’époque (XI-XIIIe siècle). Le nom aussi claque comme un symbole : «Aksaray», le «palais blanc». «Ak» signifie aussi pur et sans péché, d’où ailleurs l’acronyme choisi pour le AKP (le Parti de la justice et du développement), le parti islamoconservateur au pouvoir depuis 2002. Le coût des travaux est estimé par la presse turque à plus de 300 millions d’euros.

Pour Recep Tayyip Erdogan, premier président turc élu au suffrage universel, en août, un nouveau palais est un moyen d’incarner la naissance d’une nouvelle république voire, à terme, d’un nouveau régime en rupture. Convaincu d’être investi d’une mission divine, celle de remettre dans le sillon de son histoire une Turquie puissance musulmane sunnite héritière de l’empire ottoman, Recep Tayyip Erdogan voit grand. Ses adversaires politiques pourfendent sa mégalomanie qui s’exprime aussi par des projets urbanistiques pharaoniques comme le canal doublant le Bosphore. C’est le plan de restructuration de la place Taksim au centre d’Istanbul qui avait déchaîné en juin 2013 une contestation de masse qui ébranla le régime. Sa répression écorna sérieusement l’image d’un Premier ministre qui jusque-là incarnait le modèle d’un islam modéré combinable avec la démocratie et le dynamisme économique. Les travaux pour la construction d’une gigantesque mosquée sur une colline de la rive asiatique du Bosphore, qui sera visible de toute la ville et où il rêve d’être enterré comme un sultan, sont déjà commencés.

«Aksaray» a été édifié sur l’un des seuls grands espaces verts d’Ankara, en défiant les décisions de justice qui avaient demandé la suspension des travaux. «Qu’ils le démolissent s’ils le peuvent, ils ne pourront pas arrêter les travaux», avait lancé avec son habituelle superbe, Recep Tayyip Erdogan qui voulait inaugurer le bâtiment le 29 octobre le jour de la fête nationale. Las, un accident de mine, avec une vingtaine de mineurs coincés sous terre, l’incita à surseoir la cérémonie. D’aucun affirment qu’en fait le bâtiment n’est toujours pas complètement achevé. L’opposition quant à elle se déchaîne contre ces dépenses somptuaires. «Avec cet argent nous aurions pu envoyer trois satellites vers la planète Mars», ironise Umut Oran, député du CHP (parti républicain du peuple), la principale force de l’opposition qui souligne que le budget de la présidence turque est le triple de celui de la famille royale britannique.

http://www.liberation.fr/monde/2014/10/31/erdogan-ou-la-folie-des-grandeurs_1133304